Lilou, pelote de laine

À l’école, même la maîtresse m’appelait « pelote de laine », en souriant et en me regardant de la tête aux pieds, afin de voir ce que je portais ce jour-là.

Pourquoi toute l’école m’examinait ? Parce que maman aimait tricoter. Oui, maman se levait tôt le matin, parfois avant le lever du jour, et allait rejoindre ses aiguilles et ses pelotes. J’étais pour elle un modèle, un très beau mannequin, je ne débordais de nulle part. J’avais la taille fine.  

Mais les ouvrages de maman n’étaient jamais terminés. Était-ce sa touche personnelle ? C’était la seule raison plausible que je trouvais pour expliquer le comportement de maman.  

Les matins, elle me réveillait toujours par : « Lève-toi Lilou et regarde les beaux vêtements, que je t’ai tricotés. Il ne me reste plus de pelotes, mais tu peux les mettre quand même, ils sont beaux à regarder. Je les terminerai le soir, quand tu reviendras de l’école ». Mais elle ne le faisait jamais.

Et elle me mettait un tricot sans manches, un très petit gilet, des chaussettes de couleurs différentes, un bonnet ressemblant à une calotte et une écharpe ne faisant même pas le tour de mon cou. Dès qu’elle finit de me vêtir, elle me tirait vers le miroir pour me faire voir l’horreur qu’elle avait faite, en m’admirant : « Qu’est-ce que tu es belle, ma petite Lilou, tes copines vont être jalouses de toi, je te l’assure ».

Quand maman venait me chercher à l’école, elle passait chaque jour à la mercerie, acheter d’autres pelotes, et y passait beaucoup de temps. Elle était si heureuse d’être entourée de laine et d’aiguilles, et moi, j’étais gênée par les regards de la grosse dame, qui lui en vendait en la félicitant : « Je n’ai jamais vu madame, un tel tricotage. C’est exceptionnel ce que vous faites ! » Elle ne se lassait jamais de répéter la même chose, et maman était fière de ces compliments.

Dès que je pointais mon nez à l’école, je trouvais toutes mes copines m’attendant avec impatience et s’agrippant au portail de l’école. La maîtresse, dès qu’elle me voyait, souriait : « Tiens “pelote de laine”, tu n’as pas froid aujourd’hui ? »

Toutes mes copines m’entouraient et observaient ce que j’avais mis ce jour-là. Très contentes, elles cherchaient le bout du fil de laine, que maman avait oublié de nouer. Celle qui arrivait à le trouver, criait : «  Ça y est, je vais déshabiller “pelote”, regardez ! » et elle se lançait dans la cour, traînant derrière elle le fil de laine.

Plusieurs fois, je vis mon pull disparaître, mon gilet redevenir un long fil de laine. Plusieurs fois, je me trouvai sans chaussettes. Plusieurs fois, je vis mon bonnet, mon écharpe défaits et plusieurs fois, je vis mon pull redevenir une pelote, car Justine, ma copine n’aimait pas courir, elle se contentait de rouler le fil, autour de sa main gauche, en me priant : « s’il te plaît “pelote”, ne bouge pas, c’est un peu long à faire ».

À la sortie de l’école, maman m’attendait avec les autres parents, et dès qu’elle me voyait, elle me prenait dans ses bras en m’annonçant : « Demain matin, je te mettrai un beau pull, de belles chaussettes, un autre bonnet et une longue écharpe. Tu vas épater tes copines, je te le promets ». Maman était si enthousiaste qu’elle ne s’apercevait même pas que la maîtresse me mettait d’autres vêtements et posait dans mon cartable, tous les fils entremêlés et les pelotes, que Justine faisait avec les vêtements, que j’avais portés.

Dans ma chambre, je sortais les fils de laine de mon cartable, les démêlais et les transformais en pelotes, moi aussi. Et avec les autres pelotes que ma copine avait formées, je faisais un cadeau, et je l’offrais à maman avant d’aller au lit.

Maman était toujours contente de mes cadeaux, et me disait : « Cela m’évitera de passer à la mercerie pour en prendre. J’aurais plus de temps pour vaquer à mes aiguilles. Demain, tu auras un beau gilet, un tricot, des chaussettes, un bonnet et une longue écharpe ». Mais, elle passait quand même chez cette grosse dame qui me regardait tout le temps avec étonnement.

Un jour, sur le chemin de l’école, nous rencontrâmes Justine et sa maman. Justine me donna tout de suite la main, pour s’assurer d’être la première à trouver le bout du fil à tirer. Et sa maman admirant les ouvrages de la mienne me demanda, si je voulais être « tricoteuse » moi aussi, quand je serais grande. Je lui répondis : « Quand je serai grande, je serai directrice d’école, et j’interdirai le port de laine dans mon école, hein ! ».

Aujourd’hui, je suis directrice d’école, et chaque fois que je vois un enfant porter un vêtement de laine, je souris…

 

 

  • Auteure : Rmili Fatiha
  • Illustration : Hamza
  • Date de parution : 19/03/2017
  • Thème : La famille/ Le souvenir
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