Comment devient-on méchant ?

Je n’ai jamais voulu être méchant, car une personne sensée ne doit pas être méchante, tout simplement. Quand mamie me disait de ne pas être méchant avec le chat, je le prenais tout de suite dans mes bras, le caressais et lui demandais pardon, sans réfléchir à ce que je lui avais fait exactement. Un jour, j’en eus assez de cette réflexion que me faisait ma grand-mère, alors je suis allé voir le sorcier du village. Un homme méchant, car un sorcier avec un grand chapeau bizarre, des vêtements abîmés, des rats et des hiboux qui ornaient sa cabane ne pouvait qu’être méchant.

J‘avançais, fis deux tocs à sa porte, et attendis avec  crainte. Mais qu’attendons-nous d’un sorcier ? Un bon accueil ? Sûrement pas. Après avoir patienté encore de longues minutes, je me décidais à entrer alors, tout tremblant. La peur au ventre, je lui dis « bonjour », il fronça les sourcils, et continua à touiller un mélange verdâtre, qu’il donnerait sûrement à la voisine Teresa. Quand j’atteignis son chaudron, il me regarda enfin, et fit une grimace qui ne voulait vraiment rien dire. Je lui répondis alors par la même grimace. Peut-être c’était son langage, sa façon de dire bonjour. Enfin, il prit la peine de me demander la raison de ma visite. Je lui confiai que je refusais être méchant, c’est tout. Il ricana pendant de longues minutes, et me dit : « Mais, te rends-tu compte de ce que tu me demandes ? Ce n’est pas moi qu’il faut consulter, c’est un médecin, qui étudie le comportement des gens trop, trop méchants, et qui n’ont pas l’intention de s’arrêter, qu’il faut aller voir » « Que voulez-vous dire par trop, trop, méchant. En plus,  j’ai vraiment l’intention de m’arrêter » « Va voir un toubib » « Non, c’est vous que je préfère, souverain de la méchanceté, tout le monde parle de vous au village. Vous avez une gigantesque réputation ». Il me regarda ironiquement quelques secondes, puis s’assit sur sa couche, se pencha vers le côté gauche, je crus qu’il allait s’allonger, mais il péta trois fois, l’une plus sonore, et plus puante que l’autre, comme s’il avait ingurgité  des ballons de baudruche, puis m’expliqua : « La méchanceté sent toujours mauvais, comme un pet » « C’est tout ? Mais qu’est-ce qu’une personne méchante ? » « Une personne méchante ne se sent pas bien, comme si elle a beaucoup de pets comprimés dans le ventre, et cela la dérange énormément ; alors elle les sort pour se soulager et se sentir mieux » « S’il vous plaît, je ne pète que lorsque je mange du cassoulet, et c’est dans la nuit qu’ils sortent, je ne les entends même pas. » « Non, mon grand, les pets qui sont des méchancetés peuvent se traduire de plusieurs manières : ne pas vouloir prêter son crayon à un camarade, pousser un élève dans les couloirs, donner un coup à un animal alors qu’il ne peut pas se défendre, refuser d’écouter le conseil d’un ami sincère, ne pas sourire, ne pas dire bonjour, monter un groupe de camarades contre un autre, déchirer des livres ou ne pas prendre soin de ceux de la bibliothèque, dire du mal d’un camarade quand il est absent, ne pas aider, même quand on peut le faire, dire des choses monstrueuses à son camarade, sachant qu’il n’aime pas les entendre, etc. » « Mais moi je ne fais rien de tout cela ! » « Tant mieux pour toi, mais si un jour tu veux faire un mauvais tour à une personne, n’hésite pas, je suis à ta disposition. » « Ah non, merci, je ne veux pas être méchant, mamie me dit qu’une personne doit s’élever, et être gentille, plutôt que méchante. Je souhaite faire du bien et aider les gens. Je veux que nous soyons tous des individus qui s’entraident, qui s’amusent, qui construisent, le contraire ne mène qu’à la haine, à la catastrophe, que ce soit pour les uns ou pour les autres ».

Je sortis de la cabane soulagé, enfin je n’étais pas méchant.  Quand mamie me répéta sa phrase : « Ne sois pas méchant avec le chat ! Il ne t’a rien fait de mal »,  je ne pris pas le chat dans mes bras, je ne le caressai pas et je ne lui demandai pas pardon non plus, mais je dis à mamie « Je ne suis pas méchant, mamie ! » « Mais mon petit, ce n’est pas de toi qu’il s’agit, je parle à Tom, il n’arrête pas d’embêter Jerry ». Enfin je compris que mamie regardait ses dessins animés préférés « Tom and Jerry », et comme à son habitude,  elle donnait des conseils, faisait des réflexions aux acteurs, aux animateurs et même aux présentateurs de journal télévisé, quand une information ne lui plaisait pas. 

 


  • Auteure : Rmili Fatiha
  • Illustration : Hamza 
  • Date de parution : 19/03/2017
  • Thème : la méchanceté et la gentillesse
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