L’immigrée.

Fatiha arriva à Paris la veille de la rentrée scolaire. Elle venait de loin, même de très loin. Elle ne connaissait pas la langue des Parisiens, et personne ne lui avait demandé son avis sur ce changement de lieu, de gens, de nourriture, de climat et de camarades de classe. Tout ce qu’on lui avait dit, c’est que c’était pour son bien qu’elle devait faire ce long voyage. Et elle voulait bien voir « ce bien » que lui apporterait cette immigration.

Plus méfiante que timide, elle entra en classe, avec Lucia, Joëlle, Anaïs, Jonas et Mattéo, des prénoms qu’elle n’avait jamais entendus auparavant, et qu’elle devait apprendre vite, si elle ne voulait pas se trouver toute seule pendant le temps de la récréation.

La maîtresse prévenue de l’arrivée d’une petite fille d’un pays lointain, vraiment lointain, s’apprêta à l’accueillir convenablement, et l’aider à réussir dans sa scolarité.

– Comment t’appelles-tu ?

– …

– Moi c’est la maîtresse, Yveline, répète « Yveline ».

– Yline.

– Non, « Yveline », tu as mangé le « v ».

– Ha, ha, ha ! éclatèrent de rire les autres enfants.

– Ce n’est pas grave, tu apprendras, et dis-moi, comment tu t’appelles, toi ?

– Fatiha ! répondit-elle, avec une grande assurance.

– Tu as bien compris ma question, donc tu t’appelles Fatia

– Non, c’est Fatiha, tu as mangé le « h » dit-elle dans sa propre langue.

La maîtresse ne comprit rien…

En récréation, Fatiha ne comprenait pas ce qui se disait autour d’elle, mais courait après les camarades, les attrapait, les relâchait, riait quand elle les voyait rire, s’arrêtait court, quand elle voyait une camarade pleurer, et attendait que la querelle cesse, pour reprendre sa course et rire à nouveau.

Fatiha était heureuse, car c’était le même jeu qu’elle faisait chez elle, très loin, vraiment très loin. Elle se sentait comme si elle avait changé Fatima, Toma, Bintou, contre Lilou, Louane, Cathrina. Mais à la cantine, elle avait toujours un pincement au cœur… Elle pensait à ses amies qu’elle avait laissées derrière elle, loin, très loin, dans l’autre pays…

Une nuit, elle s’allongea sur son lit, fixa le plafond, et pensa au lieu où elle avait grandi, sa maisonnette en paille et en terre cuite, celles de ses meilleures amies, l’eau qu’elle devait chercher au puits chaque matin, à ces trois kilomètres qu’elle devait parcourir pour atteindre son école, à son cartable qui ne contenait qu’un crayon et un cahier, au bol de riz qu’elle recevait chaque jour à la cantine, plutôt dans la cour d’ailleurs, aux fêtes de fin d’année où aucun enfant ne recevait un cadeau, aux jouets que fabriquaient les enfants de son village de leurs propres mains avec tout ce qu’ils pouvaient ramasser sur la route de l’école, un chariot avec un morceau de bois et quatre bouchons en guise de roues, une guitare avec une boite de conserve, un cerceau avec un pneu, une poupée avec un bouchon, une boite de sardines et des baguettes de bois, en guise de membres inférieurs et supérieurs, etc.

Le matin, dès qu’elle se levait, elle faisait sa petite toilette, prenait sa tartine et son chocolat qu’elle n’avait jamais goûté quand elle habitait encore loin, très loin, dans l’autre pays, et se dirigeait vers l’école. La tête bien droite, les yeux fixant l’horizon, elle répétait : « J’apprendrai leur langue coûte que coûte, ils doivent comprendre ce que je dis ».

Après de très grands efforts, Fatiha put parler et écrire la langue des parisiens. Elle commença à inviter ses camarades de classe chez elle, à leur parler de son pays. Une patrie dont elle était fière. Et puis, un beau jour de Noël, elle  glissa dans leur cartable, des photos de son ancienne école,  et leur demanda s’ils voulaient bien s’unir pour aider ces nécessiteux.

Or un soir, en faisant ses devoirs, elle entendit la sonnette retentir et courut ouvrir, et là, qu’est-ce qu’elle vit ? Tous ses camarades de classe étaient là, avec des grands sacs où ils avaient mis tout ce qu’ils avaient pu collecter, pour son ancienne école. Fatiha les fit entrer, et autour de gobelets de jus de fruits et de gâteaux faits maison, ils firent le tri, préparèrent des colis, et les parents participèrent à l’envoi…

Des mois plus tard, l’école parisienne reçut une lettre du pays lointain de Fatiha. Ses anciens camarades de classe remerciaient tous ceux qui avaient participé à l’envoi des cadeaux, et les invitèrent à venir visiter leur école. Cathrina, l’amie de Fatiha, s’approcha d’elle et murmura :

– Mais j’ai peur d’aller chez toi !

Avec un sourire innocent Fatiha répondit :

– Moi aussi j’avais peur de venir chez toi, mais comme tu vois, je suis très heureuse de vous avoir tous rencontrés.

– Oui, mais toi, tu as appris des choses en venant chez nous. Ton voyage t’a apporté des choses. Dans ton village, il n’y a rien…

– Quand tu visiteras mon ancienne école et mon village, tu verras les conditions dans lesquelles les enfants de ton âge apprennent à lire, et tu feras moins de bêtises en classe, tu feras chaque jour tes devoirs sans rechigner, tu écouteras les consignes de ta maman, tu te bagarreras moins en récréation, car grâce à mon village lointain, tu connaîtras la chance que tu as d’être née dans ton pays, et tu la saisiras…

 

 

 

  • Auteure : Rmili Fatiha
  • Illustration : Hamza 
  • Date de parution : 19/03/2017
  • Thème : L’entraide/ L’immigration
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