Joseph, l’enquêteur du savoir

J’ai ouïe dire que jadis Joseph, un certain jeune homme épris de science et de savoir, voulut voyager, traverser des pays, se renseigner sur tout ce qu’il ignorait et retourner ensuite chez lui, dans son village natal, transmettre à ses concitoyens ce qu’il avait appris, pour qu’ils aient une tête bien pleine. Très motivé, il annonça la nouvelle à ses parents, qui furent tristes du départ de leur unique fils, mais ne l’empêchèrent pas de faire ce périple en quête de connaissance, car ils étaient certains que leur pays risquait de disparaître, si ses citoyens demeuraient ignorants.

Il plia ses bagages, chevaucha son âne, salua ses parents et prit les longs sentiers sinueux de la montagne. Il arriva enfin dans un pays où culminait l’érudition de plusieurs savants. Enthousiasmé et affamé d’apprentissage, il s’installa dans une maisonnette à la lisière de la ville, et alla voir le monsieur qui habitait en face. Il frappa à la porte, son cœur battant à toute allure. Le voisin ouvrit et regarda Joseph d’un œil surpris. Joseph, le sourire large, lui dit : « Je viens de m’installer ici. Je viens en quête du savoir. Je souhaite tout apprendre. Pouvez-vous me dire où je peux rencontrer les savants et les scientifiques de votre pays ? ». Le voisin, avec indifférence lui claqua la porte au nez. La lumière qui traversait les fenêtres s’éteignit. Il fut déçu, et la tête baissée, il rentra chez lui et attendit le lever du jour.

Dès que le soleil pointa son nez, il se leva débordant d’ambition, se débarbouilla le visage, prit de sa gourde quelques gorgées de lait, avala un morceau de pain de la veille, et se rendit à la grand-place, où se réunissait la petite société : les marchands de légumes, de bêtes, de grains, de vêtements, le responsable du pays, les savants et chercheurs qui se groupaient sous un grand arbre, un petit peu loin du brouhaha des marchands. Il fit le tour du lieu, demanda avec politesse et sympathie à chaque marchand où pouvait-il trouver les savants ; mais les gens le regardèrent et tournèrent la tête sans bouger les lèvres. Soudain, il les aperçut et les reconnut grâce au grand livre ouvert devant eux. Enfin, il dévorerait comme une panthère affamée tout ce qui passerait sous ses yeux, et il ne serait rassasié que lorsqu’il aurait un grand savoir, qui permettrait à son village de progresser sereinement.

Il s’avança plein de fougue, salua, personne ne répondit, puis il les informa poliment du but de son périple. Ils le dévisagèrent, échangèrent un sourire et replongèrent le regard dans leur livre. Il savait que c’était un ouvrage de géographie, grâce aux cartes en couleurs, embellissant ses pages, mais ignorait ce qu’il racontait ; il eut un pincement au cœur et repartit bredouille longer la Place.

Il fut interpellé par le braire d’un âne qui s’élevait de plus en plus. Il avança, et remarqua que la corde lui attachant les pattes était trop serrée. Son maître, qui conversait avec un autre marchand, l’entendait mais ne bougeait pas le petit doigt. L’enquêteur du savoir, comprit enfin que la bête ne communiquait pas dans la même langue que son maître. S’il parlait sa langue, il lui dirait : « desserre un peu l’attache », et tout se passerait bien.

Le soir, il rentra chez lui, s’allongea sur sa couche, les yeux fixant le plafond, puis sursauta, comme s’il venait de recevoir une gifle. Il pensa : « Ils ne comprennent pas ce que je dis, tiens, je vais leur apprendre ma langue. Oui, donnant-donnant, moi aussi, je dois leur donner de mon savoir ». Il prit une grande ardoise, esquissa des formes, écrit leurs significations en lettres, et se précipita chez son voisin. Ce dernier regarda d’un œil surpris ce gribouillage ; Joseph lui montra du doigt l’écriture de chaque mot et ce que cela signifiait, mais il  lui claqua la porte au nez. La lumière de la bougie traversant les fenêtres, s’éteignit de nouveau devant les yeux de Joseph. Il ne perdit pas espoir. Le matin, dès que le soleil pointa son nez, il se débarbouilla le visage, but quelques gorgées de lait, avala quelques bouchés de pain de la veille, et muni de sa grande ardoise, alla rencontrer les gens sur la grand-place. Il la brandit devant eux,  lit ce qui était écrit, comme cela, ils apprendraient sa langue et sauraient le but de sa présence, mais ils examinèrent un bref instant son ardoise, un peu lourde quand même, et se remirent à leurs occupations. Puis, de nouveau, il aperçut le groupe de savants réunis sous le grand arbre ; il avança, passa près de l’âne, qui n’arrêtait pas de braire à cause de l’attache trop serrée, que son maître ne remarquait toujours pas. Il écrit sur son ardoise : « Votre bête souffre, il faut lui desserrer l’attache ! » et la brandit aux yeux du marchand. Celui-ci, étonné par le comportement de cet immigré, jeta un coup d’œil sur l’ardoise, puis reprit son travail. Il alors continua son chemin. Arrivé au grand arbre, il leva son ardoise, posa le doigt sur un mot, le lit et montra l’illustration aux savants. Mais après avoir esquissé un léger sourire, ils replongèrent le regard dans leur livre. Déprimé, il retourna chez lui, mais refusa de quitter le pays, sans avoir su tout ce que contenaient les livres de ces messieurs.

Il commença à ramasser du bois et le vendre sur la Place, à transporter les charges sur son âne, pendant longtemps. Petit à petit, il commença à bégayer la langue du pays, et après des mois, il apprit leur langue couramment. Il fut content, et alla informer ces gens instruits, qu’il était en quête du savoir. Les savants l’acceptèrent parmi eux. Très ambitieux, chaque fois qu’il rentrait chez lui, il reprenait tout ce qu’ils avaient dit, l’analysait et en tirait des conclusions très importantes. Parfois, il trouvait des solutions à des problèmes qu’ils n’avaient pas pu résoudre. Les jours passèrent, puis les semaines, et Joseph acquit le respect de tout le pays. Chaque soir, son voisin qui lui claquait la porte au nez, venait lui apporter un bol de soupe et un morceau de pain, juste sorti du four. Grâce à cette entente, il commença à baragouiner la langue maternelle de Joseph. Après des semaines, il la maîtrisa. Et du voisin, à l’autre voisin, puis à l’autre voisin, la langue maternelle de Joseph  se propagea comme un doux parfum. Les savants impressionnés par le courage de ce jeune homme s’enquirent sur son pays, sa position géographique, ses habitants, leurs coutumes,  leurs traditions, et décidèrent de s’y rendre un jour.

Un beau matin alors, Joseph plia une autre fois ses bagages et partit en direction d’un autre pays, laissant derrière lui tout un peuple, parlant sa langue, par amour pour ce brave homme, toujours en quête du savoir.

 

  • Auteur : Rmili Fatiha
  • Date de parution : 19/03/2017
  • Thème : Le savoir/ L’instruction 
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