La vache qui rit

Dans une région paradisiaque où les saisons respectaient leur temps d’arrivée et de départ, comme le décrétait la nature, vivait Jean-Luc, un fermier, robuste, enthousiaste, et entretenant sa ferme précautionneusement. Il cultivait juste ce dont sa famille avait besoin et jamais il ne faisait pousser de poivrons en plein hiver ni d’absinthe en plein été. Selon lui, chaque aliment arrivait en temps utile pour couvrir les besoins de notre corps. La coexistence avec la nature allait de soi, et la vie coulait telle l’eau limpide d’un ruisseau.

Jean-Luc sortait les vaches aux pâturages, une étendue de verdure qui luisait sous les rayons dorés du soleil et, une fois par an, il en menait quelques-unes chez le voisin, un fermier qui possédait des taureaux, afin que les bêtes s’accouplent et donnent de nouvelles naissances.

Mais dans le petit troupeau qu’il parrainait, se trouvait une vache à qui il prêtait une attention assez particulière. Il n’avait d’yeux que pour elle : il la toilettait, la parfumait, lui donnait le meilleur du fourrage et refusait qu’un taureau s’approche d’elle s’il sentait « l’animal » ou mauvais.

Les mois succédèrent aux jours et l’intérêt que portait le fermier à sa vache préférée ne cessait de croître, jusqu’à prendre une ampleur stupéfiante. Il commença à la faire entrer à la maison, lui permit de s’y promener à sa guise, de s’asseoir près de la cheminée, de ruminer tranquillement en admirant les brindilles crépiter dans l’âtre. Et, parfois, il lui faisait prendre une douche dans la salle de bain avant qu’elle n’aille rejoindre le reste du troupeau.

Un soir, alors qu’il prenait son dîner, elle s’approcha de lui, renifla son assiette pleine à ras-bord d’une soupe à la viande. Il prit sa cuillère, la lui approcha du museau ; elle renifla, et Schlaf, elle aspira toute la soupe. Elle en redemanda, il la servit, puis elle en redemanda, et il la resservit. Et, depuis ce jour-là, Jean-Luc partageait ses repas avec sa vache : fruits, légumes, fromages, charcuteries, lait, etc. « Qu’elle prenne de la viande, c’est riche en protéines, elle aura plus de force et mettra bas de robustes veaux. Donnez plus pour recevoir plus » pensait-il.

 Un matin, Jean-Luc se leva, prit son petit déjeuner et se dirigea vers l’étable. Dès qu’il se pointa, il fut stupéfait de voir et d’entendre sa vache préférée rire, ou plutôt ricaner, alors que les autres vaches, terrifiées, s’étaient calées dans un coin du bâtiment. Il n’y comprit rien, mais ne chercha pas non plus à savoir. Quelques semaines plus tard, la vache devint bizarre. Elle ne se contentait plus de rire, mais elle bougeait en tous sens et faisait des mouvements étranges. Si les jeunes d’aujourd’hui l’avaient vue, ils s’en seraient inspirés pour créer une nouvelle danse : La danse de la vache folle. Un gigotement qui consistait à faire un tour, foncer vers l’avant, la tête baissée, puis retourner au point de départ à des intervalles de temps égaux, avec dynamisme, désinvolture et indifférence à ce qui l’entourait.

Le fermier fut triste de ce qui arrivait à son animal que les gens surnommèrent « la vache folle ». Tout le monde s’était mêlé de la situation : on  montrait la vache du doigt, on en parlait tout le temps, on la culpabilisait, on la rabaissait. Le fermier, malgré lui, voulut l’abattre pour en finir avec ce scandale, mais personne ne voulut de sa viande. Les villageois lui conseillèrent de la brûler vive pour que la maladie ne se propage pas et contamine toutes les autres bêtes. Jean-Luc ne savait plus où donner de la tête.

Un jour, avant que l’aube ne se lève, le fermier mit sa vache bien-aimée dans une charrette et fila chez le vétérinaire le plus proche afin de la guérir. Mais, à peine arrivé, il fut surpris de voir son voisin avec des moutons souffrant d’une fièvre que le bétail n’avait jamais connue auparavant. En discutant de la situation de leurs bêtes, ils découvrirent enfin qu’ils avaient enfreint la loi de la nature, qu’ils n’avaient pas respecté le système de la vie animale, ce qui les avait mis dans cet état.

Tous deux sortirent de chez le vétérinaire, plutôt se sauvèrent en douce, de crainte qu’il les dénonce et qu’ils soient obligés de rendre des comptes aux gens qui leur faisaient confiance, et consommaient leurs produits sans se soucier…

  • Auteur : Rmili Fatiha
  • Date de parution : 26/05/2018
  • Thème : Le mode de vie/ Le mode alimentaire.
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