Un déménagement inutile.

Après avoir eu beaucoup d’ennuis qui allaient le conduire à une séparation de sa femme et de ses enfants, peut-être même le mettre derrière les barreaux, David décida de déménager, de quitter tous ces gens qui encombraient sa vie, qui lui causaient embrouilles et mal-être, et de s’installer dans un village où il faisait bon vivre.

Les mulets chargés jusqu’au cou, il sortit à l’aube pour éviter les regards des voisins, les reproches des cousins et les agressions verbales de sa belle-mère, qui refusait de les accompagner, mais qui était décidée à lui empoisonner la vie. Sur le chemin, les montures allaient avec un rythme très lent et, pendant chaque arrêt, chaque pause, David repensait à ce qui se passait dans leur ex-village, où les gens étaient invivables, sauf quelques-uns dont il pouvait bien se passer ; il évoquait ceux qui lui reprochaient ceci, ceux qui ne voulaient pas comprendre qu’il disait cela, etc., et toute sa petite famille était enthousiaste à l’idée de prendre un nouveau départ.

Après des semaines entières de marche, leur nouvelle terre d’accueil apparut à l’horizon, et quand il ne resta plus que quelques mètres à faire, des habitants, cherchant à gagner quelques sous, s’avancèrent vers lui, proposèrent de l’aider à construire sa nouvelle demeure, ou de l’accompagner pour en acheter une déjà faite, puisqu’ils s’y connaissaient bien en commerce. Il ne refusa pas. Sur la route, il se renseigna sur les gens du village, et pensait bien faire. À peine installé, il savait déjà  de qui il devait se méfier, à qui il ne devait pas parler et à qui il ne devait jamais se confier. Là, il était bien préparé pour ne pas se brouiller avec qui que ce soit et mener, enfin, une vie tranquille.

Pendant les premières semaines, il fut extasié par l’amabilité des villageois, leur gentillesse, les services qu’ils lui rendaient sans rien vouloir prendre en retour. Et puis un jour, il commença à s’intéresser au meunier, qui prenait toujours une poignée de chaque sac de blé que lui amenait un client. Ensuite il vit que les marchands ambulants discutaient longtemps quand ils se croisaient, ce qui leur faisait perdre du temps, remarqua que le marchand de poisson rentrait chez la femme du garde-champêtre quand son époux était absent, que la femme du cordonnier s’asseyait près de la fontaine, jusqu’au crépuscule, alors qu’elle n’avait aucune jarre à remplir. Après il se demanda pourquoi le voisin était en train de refaire sa chaumière, alors qu’elle était encore en bon état, pourquoi les bêtes du fermier étaient encore dans les pâturages alors qu’il allait bientôt faire nuit, et parfois allait s’assurer discrètement qu’elles étaient bien rentrées. Un beau matin, il regarda par la fenêtre, et dit ironiquement à son épouse : « Le linge que notre voisine est en train d’étaler est très sale », sa femme lui répondit : « Non, c’est la vitre de notre fenêtre qui est pleine de poussière et d’éclaboussures de boue ».

La tranquillité de David commença à s’éroder, mais il était satisfait et ne regrettait pas son déménagement. Les gens étaient très gentils avec lui, lui témoignaient un grand respect, lui souriaient à chacun de ses passages, et lui rendaient de petits services sans rien demander en retour.

Un jour qu’il rentrait chez lui, il s’arrêta près du moulin, descendit de sa monture, et demanda des explications au  meunier. Ce dernier, sous le coup de la surprise et la gravité de l’accusation, devint tout rouge, le traita de tous les noms, et lui interdit de s’approcher encore une fois de sa propriété. Car il s’avérait que tous les villageois qui ne pouvaient le payer en espèces, lui demandaient de prendre une poignée de blé, dans chaque sac qu’ils lui apportaient. Il rentra chez lui, le moral un peu bas. Le lendemain, dès que le marchand de poisson frappa à sa porte, il ouvrit,  acheta des sardines et, dans la discussion de courtoisie, David conseilla au vendeur de ne plus entrer chez  la femme du garde-champêtre quand son mari n’est pas là. Le marchand lui jeta ses pièces à la figure, lui arracha le sac de poisson de la main, en criant : « C’est ma sœur imbécile, j’entre chez elle quand je veux !». David se sentit agressé, rentra, et raconta l’histoire à sa femme, qui était avec une villageoise en train de filer la laine. « … Fort heureusement que je ne lui ai pas dit que la femme du cordonnier restait  seule, près de la fontaine, à attendre je ne sais pas qui ; je me demande si son mari est au courant ».  Là, la villageoise, par vengeance, emmêla tout ce qu’elle avait filé et hurla : « Tu es en train de traiter ma fille de dépravée ?! Pour ta gouverne, son bébé s’est noyé dans la fontaine, le jour de ton arrivée au village, et elle ne se sent mieux qu’à cet endroit. Idiot ! » Elle fixa sa femme et continua : « Et toi, ne me demande plus de t’aider, il vaut mieux que tu prennes celui-là comme apprenti pour qu’il s’occupe un peu, et renonce à surveiller les autres ». Puis se leva avec énervement, s’en alla en claquant la porte derrière elle. David hâta le pas, la suivit pour lui expliquer que c’était par bonne foi qu’il disait ceci, mais elle était déjà loin. Il aperçut le voisin en train de travailler à sa chaumière, il avança et, oubliant ce qui venait de se passer, dit : « Pourquoi tes enfants ne viennent-ils pas t’aider ? Tu es leur père, quand même ! Si les miens me font une chose pareille, je les chasserai de la maison ». Le voisin fit grise mine, et ne lui adressa plus la parole ! Et malgré ces incidents, David continuait avec nonchalance à dire ce qui lui passait par la tête. La vie dans ce village n’était plus comme au début. Il tissa alors des liens avec les gens qu’il avait rejetés au début, et réalisa que tout ce qui lui était raconté sur eux était faux. Mais après quelques rencontres, ils commencèrent à l’éviter.

Depuis, David n’était plus tranquille. Le village n’était pas bien, les habitants n’étaient pas sympathiques… Il décida alors de quitter cet endroit pour un autre, où les gens étaient aimables, respectueux et où il faisait bon vivre. Il refit ses bagages, chargea ses mulets, se leva à l’aube, réveilla le restant de la famille. Au moment où il posa la main sur la poignée de la porte pour l’ouvrir, il entendit frapper. « Mais qui était-ce ? ». Il ouvrit. C’était sa belle-mère, qui ne s’était même pas donné la peine de descendre du dos de son âne, qui l’éclaira avec un ton décidé : « Le repos, tu le trouveras quand tu ne t’occuperas pas de ce qui ne te regarde pas. La tranquillité, tu la vivras quand tu ne fourreras pas le nez dans la vie des autres. Tu seras respecté quand tu sauras prendre tes distances au bon moment. Tout cela te permettra de ne pas déménager chaque fois. Allez, on rentre à ton village natal de ce pas, je ne peux pas vivre loin de ma fille ! »

David, après un moment de réflexion, suivit sa belle-mère sans mot dire…

  • Auteur : Rmili Fatiha
  • Date de parution : 30/11/2017
  • Thème : Respecter la vie des autres
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