Une horrible décision

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Il y a très longtemps, dans un pays qui, fort heureusement, n’existe plus sur la carte du monde, vivait un roi un peu toqué.

Un jour, de retour de la chasse, le roi croisa un vieillard en loques, de fort mauvaise mine, le visage sillonné de rides et empreint de tristesse. Le pauvre vieillard, malgré son âge bien avancé et sa faiblesse, s’inclina pour saluer le cortège. Mais le monarque n’était pas content d’être salué par un vieillard tout triste, alors il prit une horrible décision.

De retour au château, il envoya son héraut informer ses sujets que, dorénavant, le roi ne voulait plus voir aucune personne triste ou en colère, et surtout pas apeurée. Tous les sujets devraient exprimer toutes leurs émotions par des rires de joie ! De cette manière, les contrées voisines les envieraient.

Le premier incident qui survint le lendemain de cette horrible décision fut le décès du fils du héraut. Il aurait bien voulu crier, pleurer à chaudes larmes, exprimer sa tristesse, mais le roi en avait décidé autrement et, pis encore, ç’avait été à lui d’annoncer l’information.

 Pendant l’enterrement de son enfant, tout le public présent ne cessait de rire afin d’appliquer la loi, mais le héraut ne pouvait pas : « c’est trop dur d’obéir… » ; alors, il ne pleurait pas, mais ne riait pas non plus. Il fermait bien les paupières pour qu’aucune larme ne fuie de ses yeux.

 Puis un jour, à force de cacher cette tristesse, son cœur tomba malade. Chaque fois qu’il se mettait en route pour annoncer une nouvelle et que l’atroce douleur se faisait sentir au niveau de sa poitrine, il avait envie de gémir, froncer les sourcils, montrer sur son visage ce qu’il ressentait, mais il ne le pouvait pas, car le roi avait décidé que, dans son pays, il n’y aurait plus que de la joie et de la bonne humeur. Alors, il ne gémissait pas, mais il ne s’esclaffait pas non plus.

Quelques mois passèrent. Son chien fidèle tomba malade à son tour. Il avait peur qu’il ne meure et rejoigne son fils. Il avait peur de rester seul, sans son fils ni son chien. Mais il ne devait manifester aucun signe de cette émotion, alors, il ne montra pas sa peur, mais ne s’égaya pas non plus.

Le pauvre chien finit par mourir. Les voisins et amis vinrent consoler le héraut en éclatant de rire : « ha, ha, ha, je suis de tout cœur avec toi » ou « ha, ha, ha, qu’il repose en paix ! » ou encore « ha, ha, ha, mes condoléances les plus sincères ». Le héraut fut très en colère contre le roi et sa décision, mais cette colère ne devait pas se refléter sur sa figure. Il la comprima alors, et ne montra ni joie, ni colère. Il la cacha bien à l’intérieur avec la tristesse, le chagrin, la douleur, la surprise et tout ce qu’il ressentait.

Le temps passait et le héraut prit l’habitude d’étouffer toutes ses émotions : la peur, la joie, la colère, la jalousie, la surprise, tout, tout, tout…, jusqu’à ne plus parvenir à éprouver aucun sentiment .

Un jour, il se leva au beau milieu de la nuit et quitta son pays.

Sur la route, le ciel était bien dégagé, orné d’une belle lune toute ronde, entourée d’une multitude d’étoiles. Une brise légère lui effleurait le visage, et des champs fleuris s’étendaient à perte de vue. Le parfum de la lavande lui emplissait les narines, mais le héraut était complément indifférent à tout ce qui l’entourait. La tête baissée, il détachait difficilement ses pieds du sol pour avancer. Soudain, il vit surgir, de nulle part, une silhouette humaine. Il s’arrêta brusquement un bref instant, puis baissa à nouveau la tête, et s’apprêta à continuer son chemin, mais la silhouette le prit par l’épaule, et lui dit :

– Du nuage sur lequel je vis, je t’ai aperçu et j’ai bien compris que tu ne supportes plus le poids de ton cœur, alors je suis descendu voir ce que tu as exactement.

– J’ai tout perdu ! Ma femme, mon fils et mon chien. Pour ma femme, j’ai pleuré, mais…

– Les hommes pleurent.

– Puis j’étais en colère contre le comportement des voisins lors des funérailles de mon fils et de mon chien, mais…

– Les hommes se mettent en colère, et le montrent en plus.

– Quand j’ai vu mon voisin enlacer sa femme, l’embrasser, j’ai ressenti de la jalousie, car je n’ai plus d’épouse, mais…

– Les hommes doivent ressentir de la jalousie.

– Quand mon chien agonisait, j’avais peur pour lui, mais…

– Les hommes peuvent éprouver un sentiment de peur.

– Mais notre roi, pour notre bonheur, a décrété que la peur, la colère, la tristesse, le chagrin et même la surprise n’ont plus de place dans son royaume …

La silhouette à peine perceptible se tut un moment, puis reprit :

– La peur, la joie, la colère, la jalousie, la surprise et toutes ces émotions font partie de l’Homme. Sans elles, il ne serait plus qu’un morceau de bois dépourvu de tout sentiment.

– Donc, je suis un homme ?! Un vrai ?! Parce que je ressens tout ce que tu viens de dire ?

– Oui, tu es un être humain normal. Tes émotions font partie de toi, tu dois les exprimer, mais pas n’importe comment.

– C’est-à-dire ?

– Montre aux gens ce que tu ressens, mais de façon à ce qu’ils comprennent dans quel état tu es, sans te faire mal, ni le leur faire subir…

Le héraut sentit comme une bouffée de chaleur lui sortir du corps. Il baissa la tête un moment, puis   leva les yeux pour en parler à la silhouette, mais, il n’y avait plus personne ! Il regarda le ciel, mais il n’y avait aucun nuage sur lequel était assise celle-ci ! Par contre, il vit une lune bien ronde trôner au milieu d’un ciel parsemé d’étoiles plus brillantes les unes que les autres, sentit l‘odeur de la lavande lui emplir la poitrine, puis eut l’impression de devenir plus léger qu’une plume. Il réalisa qu’il n’y avait jamais eu aucune silhouette, mais que c’était son cœur qui lui avait parlé. Il sourit, se releva énergiquement et pressa le pas vers une contrée où les gens vivent comme ils sont, et expriment leur joie, leur colère ou leur tristesse d’une manière raisonnable.

Qu’il aille au diable, ce roi toqué !

 

  • Auteure : Rmili Fatiha
  • Date de parution : 23/09/2018
  • Thème : Les émotions.
  • Provenance de la commande : France ( Le Var).

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