Ici, c’est chez moi !

Comme s’il avançait vers une fournaise, Ali regardait droit en face de lui : tous les étrangers étaient dispersés en petits groupes dans la cour. Où fallait-il aller ? Que devait-il faire face à tous ces jeunes ? Il devait se trouver une place dans ce nouveau monde, seul, sans ses parents qui lui avaient imposé cette immigration.

Plus timide que méfiant, il s’assit sous un arbre et, avec son cartable sur le dos, promena son regard autour de lui en réfléchissant à une façon d’aborder ses camarades ; fort heureusement, il maîtrisait leur langue et avait un joli accent en plus.

En classe, dès qu’il s’assit, tous les regards affluèrent vers lui, telle une volée de flèches. Il ne comprit pas pourquoi les étrangers l’examinaient ainsi de la tête aux pieds. Quelques-uns d’entre eux le regardaient droit dans les yeux, sans aucun sourire ni expression sur le visage qu’il aurait pu interpréter. Le cours commença. Enfin, ils auraient une autre occupation que de le traquer ! À la première occasion qu’il eût de répondre à une question que le professeur posa, tous les élèves de devant se donnèrent la peine de se retourner pour le dévisager. Certains esquissaient un sourire énigmatique. Une gêne inexplicable s’empara de lui. Très mal à l’aise, il arrêta de parler, et baissa un instant la tête ; les étrangers retrouvèrent leur position normale. Quand il reprit la parole, les yeux le refixèrent, des regards mystérieux, dénués de toute émotion. Était-ce de la surprise ou de la curiosité, ou était-ce son joli accent qui attirait leur attention ?

Pendant la récréation, un défi à relever sans ses proches auprès de lui, il fit quelques pas vers un groupe, esquissa un sourire, dit « bonjour ». Pas de réponse ! La discussion continua entre les jeunes, sans qu’ils ne prêtent aucune attention à sa présence. Le cœur du jeune garçon se contracta de douleur, mais il se ressaisit, recula de deux pas et, faisant demi-tour, se dirigea vers l’arbre qui l’avait accueilli ce matin-là. Tous ceux qui passaient à sa hauteur le dévisageaient ; il leur envoyait un regard courtois, un fin sourire aux lèvres, pour montrer l’ouverture de son esprit, mais en vain. Pourquoi ces gens se comportaient-ils ainsi ? Qu’avait-il de plus ou de moins qu’eux ? La classe reprit. À part le professeur, personne ne lui adressait la parole, et lui, sur sa chaise, était en train de souffrir, de se poser des questions. À qui s’adresser, bon dieu ? Il faut s’armer d’un courage éléphantesque, d’un calme inimaginable, d’intelligence et d’un sens de je ne sais quoi pour vivre avec des gens différents de soi.

Le jeune homme se débattait comme il pouvait, ses parents ne l’aidaient pas, et aucun professeur n’avait pris l’initiative de le présenter aux élèves : « Ali vient de…, trop de guerre à cause de… déséquilibre économique parce que… et c’est le petit peuple qui prend… parce que… il ne lui reste plus qu’à quitter les lieux… soyez prévenants, accueillants. Aidez-le à s’intégrer dans votre groupe, dans notre pays… en l’acceptant, et en l’aidant à prendre le même chemin que vous… vous allez collaborer à l’instruction d’une personne qui se rendra utile et contribuera, à son tour, au développement de notre patrie, car au moins, elle, elle sait ce qu’est vivre dans un pays libre et démocratique… »

Quand les membres de la famille se réunissaient, la discussion tournait autour du pays qu’ils avaient laissé derrière eux, autour des papiers qu’il fallait faire, puis tout le monde baissait la tête vers les smartphones pour retrouver, via les réseaux sociaux, les gens de la patrie mère, une escapade mirifique, un baume sur une plaie douloureuse, enfin, l’extase ! Mais personne n’évoquait ce tison logé au cœur, et qui brûlait lentement l’amour-propre de chacun, à cause de ce dépaysement, cette rencontre avec des étrangers… La nuit, au lieu de dormir paisiblement après une longue journée de travail, Ali gardait les yeux ouverts et pensait à son retour au lycée.

Le jour suivant, avec une détermination titanesque, il reprit le chemin vers la fournaise où il se sentait tellement mal, et où sa personne était mise à rude épreuve : affronter les regards, l’indifférence de ses semblables à son égard… Il arriva d’un pas sûr, se dirigea vers un groupe… À nouveau, on l’ignora… Le cœur pincé, il se raidit, puis rebroussa une nouvelle fois chemin malgré lui. Il regrettait presque d’être venu, bien qu’il n’eût pas le choix. Pendant le cours, il leva la main, répondit, questionna, écrivit et rit même quand il entendit un camarade dire une bêtise. Puis il rejoignit « son »   arbre. 

L’immigré avait le choix entre se morfondre, crier au racisme, ou œuvrer pour se faire accepter. Alors, il opta pour la troisième solution, et choisit comme immuable objectif de se faire accepter. Plus motivé que jamais, il allait au lycée avec fougue et entrain, heureux d’avoir l’opportunité d’apprendre, d’avoir la chance de développer ce qu’il avait apporté de son ancien pays et d’en faire profiter le sol accueillant. Il ne prêtait plus attention qu’à son instruction, qui l’élèverait malgré la couleur de sa peau, malgré son accent et malgré son identité.

Un jour, au cours de la récréation, il alla comme à son habitude à l’arbre qui l’avait accueilli le premier jour, s’assit sur son cartable et prit un livre dans la main ; son champ visuel capta des chaussures, il leva la tête, une poignée de blonds lui souriaient, un camarade s’agenouilla près de lui : « Bonjour ! Qu’est-ce que tu lis ? ». Il sourit avec des dents plus blanches que le lait et, avec un calme assuré, il lui passa son bouquin. Ce dernier le prit et lit à voix haute : 

« La patrie est à ceux qui l’aiment, qui œuvrent avec acharnement pour la pousser de l’avant… ceux qui ont le souci permanent de faire évoluer les mentalités, unir tous les membres de la société, vivre en bonne harmonie, pour n’y laisser aucune faille par laquelle peuvent s’infiltrer toutes les idées qui ne respectent pas ses principes fondamentaux, et qui ne font malheureusement que désagréger la nation, l’affaiblir… Le pays est à ceux qui le défendent, le développent et non à ceux qui y sont seulement nés… bien des citoyens n’ont rien donné en retour à leur patrie qui les a vus naître, qui les a nourris, qui les a instruits … » 

 L’auteur :

La haine, le rejet de l’autre prolifèrent là où il y a l’ignorance. La discrimination n’a pas lieu d’être. Ensemble pour un avenir meilleur. Chaque personne a des atouts et des compétences, apprenons à en tirer profit.

Le texte traite l’immigration en général, aucun pays n’est visé.

  • Auteur : Rmili Fatiha
  • Date de parution : 29/11/2017
  • Thème : La vie en société/ L’acceptation de l’autre/ L’immigration
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