Une belle punition

Ce vendredi, un beau jour du mois de mai, je me dirigeais comme d’habitude vers l’école avec mes copains, quand la monotonie faillit à son devoir, et les choses se passèrent différemment des autres jours.

Hugo et Clément nous devançaient de quelques pas, se tournant de temps à autre pour voir si nous les suivions toujours, car Emma ayant une ampoule au talon, marchait lentement, et s’appuyait sur moi de temps en temps. Je lui tenais son cartable.

Tout à coup, j’aperçus de l’autre côté de la route un malvoyant, qui essayait de traverser, se fiant à son ouïe, qui sûrement était un petit peu endommagée, car je le voyais hésitant et carrément perdu. Encore pire, c’était la première heure matinale, et les conducteurs ne semblaient pas seulement pressés, mais affolés, pensant être en retard à leur travail. Je demandai alors à Hugo de se hâter et d’aider le pauvre monsieur à traverser… Mais il répondit de suite qu’il avait une évaluation et ne pouvait donc tarder d’une minute, j’appelai alors Clément, qui m’affirma aussitôt  : « Je n’ai pas l’intention de me faire gronder par le professeur. En plus, je suis fatigué. »

J’essayai de baisser les yeux, de fixer le sol, comme si de rien n’était, mais je ne pouvais pas, le monsieur tâtonnant partout, semblait paniqué, et on ne pouvait même pas comprendre ce qu’il voulait faire au juste. Emma, me voyant inquiet, me rappela : « Les parents nous ordonnent de faire attention, et nous interdissent de jouer sur la route ! » Mais ses propos me parurent déraisonnables. Je lui tendis alors son cartable, qu’elle donna à son tour à Clément, et tous continuèrent leur chemin sans moi. J’eus le temps de les voir s’éloigner…

Je courus vers l’homme démuni de ce précieux sens, lui pris la main et l’aidai à traverser la route ; puis il me demanda  de l’amener à l’arrêt de bus. Fort heureusement, il n’était qu’à quelques mètres de nous, je pris alors l’initiative de l’y conduire, et ne repartis que lorsque je me fus assuré qu’il y avait une autre personne qui pourrait me remplacer.

Sur la route, je ressentais un mélange de bonheur et de fierté, mais j’avais aussi une boule au niveau de la gorge, car mon enseignant ne laissait rien passer, et ne pardonnait jamais les retards. Après avoir frappé, j’ouvris la porte de la classe, adressai mes excuses, et ce que je craignais arriva. « Alors, le réveil n’a pas sonné, ou c’est maman qui ne t’a pas réveillé ? » « Non, monsieur, le réveil était bien à l’heure, maman s’était levée une heure à l’avance, mais j’ai aidé un vieux malvoyant à traverser la route, et il m’a demandé de le conduire à l’arrêt de bus le plus proche, je ne pouvais le laisser, de crainte qu’il ne se fasse écraser par un véhicule ! » « Eh bien, nous voilà face à une leçon de morale, apporte-moi ton cahier de liaison, il faut prévenir les parents de ton comportement ! » « Mais, monsieur… » « Il n’y a pas de mais, ton cahier, Lucas ! » dit-il d’un ton qui ne laissait présager rien de bon. Énervé, je posai mon cartable par terre, extirpai mon cahier de liaison, le lui tendis en lui envoyant des regards révoltés. Il y écrivit, me le rendit en disant : « Demain, ramènes-moi le cahier signé par tes parents ! »

Je regagnai ma chaise, le visage fermé, je n’avais plus aucune motivation pour faire quoi que ce soit, je ne pensais plus qu’à mes parents, et à tout le discours qu’ils allaient me faire le soir, quand je leur demanderais de signer l’avertissement du professeur.

La journée finie, je rentrai à la maison, et le long du chemin, je ne réfléchissais qu’à une chose : « Comment ne pas me faire gronder ? Dois-je signer à leur place ? Non, hors de question que je trahisse mes parents. Dois-je leur dire que c’est la première et la dernière fois que je serai en retard à l’école ? » Les questions me venaient de toutes parts, et les réponses ne tardaient pas non plus à les suivre, mais aucune ne me parut raisonnable. Cinq minutes plus tard, je faillis sauter de joie : « Tiens, j’ai trouvé ! Ils sont très calmes vers 20 h 30, quand ils sont en train de regarder leur série préférée, et ne tolèrent pas d’être dérangés, donc il est fort possible qu’ils signent le mot, sans même regarder ce qu’il y est écrit. Je vais tenter ma chance… »

Le soir, j’attendis que mes parents se détendent sur le canapé pour regarder la télévision, et vins la tête presque baissée leur tendre le cahier. « Qu’est-ce qui s’est passé ? » me demanda maman tout en tenant mon cahier. J’attendais un « Oh, Lucas, combien de fois, on te dit… » Mais je ne vis qu’un splendide sourire se dessiner sur son visage, puis elle tendit à son tour le cahier à papa, qui y jeta un coup d’œil et s’exclama : « Mon brave jeune homme, qu’est-ce que je suis fier de toi ! » Je ne compris plus rien ! Je les regardais, je m’attendais à entendre : « Monte dans ta chambre, et pas de jeux pendant une semaine » ou : « Tu n’iras pas au club ce samedi » ou même : « Pas de ″nuit pyjama″ pendant trois mois»  ou encore : « Dorénavant, c’est moi qui vais te conduire à l’école», mais il n’y avait rien de tout cela. Ils se levèrent, me serrèrent dans leurs bras, chacun à son tour et annoncèrent : « Ce samedi, tu peux inviter tes amis à passer le week-end à la maison. Tu mérites bien une récompense ! » 

Je ne sus pourquoi le retard à l’école avait été puni de cette façon que lorsque j’ouvris le cahier,  pour vérifier si le mot du prof était signé. Je lus alors :  Votre éducation a déjà donné ses fruits : Lucas a aidé ce matin un malvoyant à traverser la route, et l’a même guidé jusqu’à l’arrêt de bus. Je je remercie Lucas, car demain, je ferai de son comportement une leçon ! 

 

 

  • Auteure : Rmili Fatiha
  • Illustration : Rmili Fatiha
  • Date de parution : 11/11/2017
  • Thème : L’empathie
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