L’étranger mystérieux

À la lisière de notre village vivait un vieil homme dans un cabanon en bois. Le cabanon était rudimentaire, ses meubles lui furent offerts par ma mère et quelques voisines. Il portait toujours un froc gris-clair et une coule noire en hiver ; quand il faisait doux, il troquait la coule contre un scapulaire pour ne pas avoir trop chaud.

Le Vieil homme qui venait de s’installer chez nous se prénommait Jacques. Tous les villageois l’appelaient « le père Jacques », mais était-ce vraiment son prénom ? Personne ne pouvait répondre à cette question, et personne ne pouvait savoir, pourquoi il se vêtait ainsi, car il sortait peu de son cabanon, évitait de discuter avec les gens, et s’isolait souvent dans la forêt d’en face.

Malgré son caractère d’homme solitaire, ma mère m’envoyait chaque jour lui rapporter ce qu’elle avait épargné pendant nos repas du jour. Elle me tendait un panier dont j’ignorais le contenu, car sincèrement, jamais je ne regardais, même pas à la dérobée, ce qu’elle mettait dedans. Elle ajustait ma chemise, et me poussait gentiment dehors en balbutiant : « Dieu tout puissant, accepte cette offrande et épargne-nous de l’Enfer ! ». Puis, fermait la porte.

Ma mère ignorait qu’avec ses paroles, elle m’envoyait tremblant de peur ; les pensées s’en allant de toute part. « Comment Dieu le Bon, pouvait-il nous jeter en Enfer ? Pourquoi l’Enfer ? Pourquoi ne nous demanderait-il pas de nous mettre au coin, dans son immense trône, ou au pire des cas, nous demander de soulever un pied et mettre les deux mains sur la tête, ou même écrire cent fois « je dois être gentil », comme nous le demande le maître en classe ? ».

    Arrivé chez le père Jacques, le cœur palpitant à tout allure, la peau de tout mon corps parcourue de fourmillements, je lui tendais le panier. Il soulevait alors le coin de la serviette qui cachait les provisions, esquissait un fin sourire, remettait la serviette, et me demandait de l’accompagner. Dans la forêt, il saisissait le grand morceau de pain que maman lui avait consacré, le coupait en miettes, et en mettait une poignée dans chaque nid d’oiseaux. Puis, nous nous asseyions sous l’ombre tutélaire d’un grand arbre, afin de manger le reste.

Un jour qu’il s’était assoupi sous un pin, et que je m’amusais à mettre de la boue dans mes mains et à les imprimer sur les arbres ou les rochers,  je me retournai tout à coup vers lui, et le vis en train de m’observer en souriant : «  Tu n’as pas besoin de salir tes mains  jeune homme… Tes mains  fixent des empreintes là où elles se posent, sans que tu ne fasses attention, tes pieds laissent des marques là où tu marches et ta langue grave des sentiments dans les cœurs, chaque fois que tu t’exprimes ». Je le regardai un bref instant, avec des yeux étonnés, il me fit signe de m’approcher, de lui tendre la main ; il s’appuya sur moi, se leva, mit sa main droite sur mon épaule, et nous reprîmes la route du retour, sans s’échanger un mot. Il parlait peu, ou n’aimait pas être bavard…

Aujourd’hui que je suis homme, époux et papa, je remercie ma mère, qui m’a donné la tâche de lui ramener de quoi manger, je remercie mon père de m’avoir autorisé à fréquenter cet étranger, qui parlait peu, mais quand il parlait, disait des choses très intéressantes…

Je ne dois pas oublier de vous dire qu’un jour, en voulant prendre un coupe-faim du panier, j’ai découvert un mot de maman, adressé au père Jacques, pour alléger le poids de sa solitude ; c’est ce qui le faisait sûrement sourire, et c’est pourquoi il se hâtait de soulever le coin de la serviette. Sûrement, un gentil mot était plus rassasiant qu’un morceau de pain. Non, je me trompe, il faut dire : « Le pain rassasie le corps, mais les gentils mots rassasient le cœur, l’âme, et les deux sont nécessaires pour le bien-être de la personne »

 

  • Auteur : Rmili Fatiha
  • Date de parution : 19/03/2017
  • Thème : L’importance du mot/ Le choix des mots 
Vous avez aimé ce texte, partagez-le !
FacebookTwitterGoogle+