Nancy. Qui vole un oeuf, vole un boeuf.

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Il y a très longtemps, dans un pays où les friandises n’existaient pas encore, où les enfants pour jouer, couraient les uns après les autres, grimpaient aux arbres ou chassaient les papillons, vivait Abigaïl, une princesse d’une grande beauté, comme si le bon dieu avait utilisé les plus belles couleurs dont il disposait pour faire d’elle une œuvre inouïe. Elle était très distinguée, et tous les hommes ne voyaient, ne parlaient, ne rêvaient les yeux grands ouverts que d’elle.

La princesse avait une femme de chambre et de compagnie qui s’appelait Nancy. Cette dernière avait le même âge qu’elle, juste l’âge, car on ne pouvait voir si elle était belle ou non, tellement elle était pauvre, pis encore, sa famille était dans une telle misère qu’elle lui donnait jusqu’au dernier écu qu’elle touchait, pour subvenir à ses besoins. Nancy était impressionnée par l’élégance de la princesse, et chaque fois qu’elle devait ranger ses belles robes, elle les posait sur elle et se regardait dans le miroir, puis elle les pliait délicatement en rêvant les yeux ouverts.

Les jours de fête de la moisson, les hommes et les femmes s’afféraient pour paraître dans leurs plus beaux habits en présence de la princesse. Nancy, la domestique avec sa robe qui datait déjà de plusieurs hivers, et qui lui arrivait à présent aux genoux, puisqu’elle grandissait, n’allait pas aux fêtes, et restait au château pour s’occuper des affaires de la princesse. Elle pliait, dépliait pour regarder, toucher, puis repliait les beaux habits. La douleur dans le cœur, l’envie de se voir belle, voir des garçons la regarder, lui pinçait le cœur, mais bon, c’était une fille d’une endurance sans égale, et voir sa famille le ventre plein, était selon elle plus important que tout autre chose. Elle devait terminer de ranger les robes d’hiver, sortir toutes prêtes celles d’été et préparer les accessoires qui allaient avec : broches, bracelets, foulards, châles, enfin tout ce qui agrémentait les tenues princières. Quand il ne lui resta plus que quelques vêtements à ranger dans les armoires, elle s’assit sur le bord du lit, sentit comme une bouffée lui traverser le corps, et épuisée, se laissa emporter vers l’arrière. Le lit de la princesse était tellement doux, confortable, qu’elle s’endormait..

 

« Le foulard aux trois couleurs, bleu, rouge et gris, est très beau, et en soie en plus, une matière noble» ; elle le mit autour du cou, se regarda dans le miroir : « Il me va au teint. Qu’est-ce que je suis belle avec», elle le prit, leva sa robe qui lui arrivait aux genoux, tellement elle avait grandi, et le cacha dessous. Puis sereine, se remit à contempler  toutes ces merveilles, car elle était seule, et personne n’était là pour lui donner d’ordres ou la déranger. Elle ouvrit le coffre à bijoux, vit la broche bleue qui scintillait à la lumière du jour merveilleusement, elle la saisit, se souvint que la princesse la portait avec le foulard qu’elle s’était appropriée, et pensa : « la broche va avec le foulard, si elle la voit, elle va me demander de lui apporter le foulard, il vaut mieux que je la prenne. Avec tous les bijoux qu’elle a, ce n’est pas la disparition d’une broche qui va la rendre malheureuse ». Elle leva sa robe qui lui arrivait aux genoux, tellement elle avait grandi, la cacha dessous et reprit sa besogne. La nuit, elle s’allongea sur sa couche, puis se releva, mit le foulard, la broche, se regarda dans le miroir, sourit, et examina sa robe…

Le lendemain, d’un pas décidé, elle alla dans la suite de la princesse, puisque cette dernière était à la fête qui durait des jours, prit le vêtement qui allait avec le foulard bleu, rouge et gris, leva son jupon qui lui arrivait aux genoux, tellement elle avait grandi, la cacha dessous, et retourna dans sa chambre, en pensant : « C’est un habit d’hiver, d’ici la saison prochaine, elle ne s’en souviendra plus». L’envie n’ayant plus de limite, Nancy retourna, ouvrit un placard que la princesse utilisait rarement, et ses yeux furent éblouis par l’étincellement de pierres précieuses, ornant une robe brodée. Quelle merveille ! Mais ce que Nancy ignorait, c’est que la fille du roi allait enfin se marier, et l’avait faite venir  de Perse. Elle se dit : « Vu le nombre de vêtements hors de prix qu’elle possède, elle ne s’en apercevra même pas». Et d’un foulard, à une simple broche, à une robe parmi plusieurs, à des bijoux, à bien d’autres robes et toutes les parures qui allaient avec, Nancy ne pouvait plus arrêter de prendre ce qui n’était pas à elle, et se trouvait, à chaque vol, des justifications pour répondre à sa conscience.

Les mois avaient passé, et la veille de son mariage, Abigaïl demanda à Nancy de lui apporter sa robe rangée soigneusement dans le placard, qu’elle n’utilisait que rarement ! Pas de robe ! Furieuse, elle envoya ses gardes chercher partout, et lui ramener le voleur, ligoté. Nancy eut une peur bleue, se rendit enfin compte de la gravité de son comportement, elle devint blême, et avoua tout. La princesse rouge de colère lui dit fermement : « Ne me croyez pas dupe. J’ai vu que mes biens manquaient. Et vu ma clémence et ma générosité, je me disais : « ce n’est qu’un foulard, ce n’est qu’une broche, ce n’est qu’un bijou en or, ce n’est qu’une robe, deux robes, mais que vous ayez mis la main sur ma robe de mariage ! Le plus beau jour de ma vie ! Vous ne méritez que le pénitencier !» « Demain matin, jour de mon mariage, mettez-la en prison !» finit-elle ses propos en se retournant vers ses gardes. Le lendemain, le surveillant poussa Nancy dans une cellule en criant : « Qui vole un œuf vole un bœuf !», et BAM !!! La porte  se referma derrière elle. Elle se leva en sursaut du lit de la princesse, le visage dégoulinant de sueur, le cœur palpitant de frayeur. Puis reprit ses esprits, et affirma solennellement : « Je ne prendrai rien, même si ce n’est qu’une toute petite chose, que je juge sans importance. Qui vole un œuf, vole un bœuf».

Heureusement, ce n’était qu’un rêve, mais un mauvais rêve qui lui  apprit une bonne leçon…

 

 

  • Auteure : Rmili Fatiha
  • Illustration : Rmili Fatiha
  • Date de parution : 03/08/2017
  • Thème : Le vol/ La pauvreté et la richesse.
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