Poil dans la main.

Il y a longtemps, bien longtemps dans un village paisible, où personne ne manquait de rien, grâce au travail de chaque habitant, vivait Edward, un jeune homme né avec « un poil dans la main ».

Edward ne restait jamais plus d’une semaine dans un atelier, s’il passait le septième jour, il devenait tout rouge et en voulait aux artisans qui travaillaient avec lui, et n’était soulagé que lorsqu’il claquait la porte de l’atelier derrière lui.« Enfin une bouffée d’air, quel emprisonnement ! » pensait-il sur le chemin du retour chez lui. Tous les villageois le surnommèrent alors « Poil dans la main », ce qui veut dire : une personne qui ne veut pas travailler.

Très soucieux de l’avenir de son unique fils, son père lui dit un jour : « Que deviendras-tu, mon fils, quand je mourrai ? Qui te nourrira ? Qui te logera ? Qui te respectera, si tu ne fais rien, si tu ne produis pas ? » Les pieds allongés, les mains sous la tête en guise de coussin, il répondit : « Mais père, comment veux-tu que je reste enfermé dans un atelier, cela m’étouffe. » Le père, déçu de sa progéniture et toujours inquiet, surtout qu’il commençait à avancer en âge et à perdre toutes ses forces, réfléchit un long moment et alla, le dos presque courbé, la tête bien baissée, prier un voisin de demander à un autre voisin, d’intervenir auprès d’un riche agriculteur pour qu’il emploie son fils, que plus personne ne voulait embaucher. « Il n’aime pas être enfermé, voilà, il n’y a pas mieux que de travailler dans les champs, pour rester toute la journée dehors, et cette fois, ça va marcher », pensait le père, le cœur apaisé.

« Poil dans la main » avec une motivation douteuse, accepta la proposition de son père : « De toute façon, un jour, il faudra bien que je fasse comme les autres, je n’ai pas le choix ». Après trois jours, le père se leva un peu tard, à cause de sa maladie et fut surpris de voir son fils encore allongé sur sa couche. Il traîna ses pieds jusqu’à lui : « “ Poil dans la main “, réveille-toi ! Le soleil va bientôt être au beau milieu du ciel, les champs doivent être cultivés. Il faut faire sortir les bêtes des écuries ! » Le jeune homme aux biceps ressemblant à deux énormes croissants, se retourna pour se rendormir en balbutiant : « Oh père, laisse-moi, la terre est dure à retourner, les bêtes attendent toujours qu’on vienne leur donner à manger. Ceci est épuisant ! » Le père qui n’en était pas à sa première surprise depuis qu’il avait eu cet enfant,  eut la honte de sa vie : « Mais que dirai-je à mon ami Jacob qui t’a trouvé cet emploi, alors qu’il sait bien comment tu es ? Que vais-je lui raconter comme excuse ? »« Tu n’as qu’à lui dire, que je n’aime pas être enfermé ! » Le père mit la main sur son cœur quelques secondes et tomba raide sur le sol. Il mourut et « Poil dans la main » se retrouva seul.

Des semaines plus tard, toutes les réserves qu’avait mises son père de côté étaient épuisées. Le grand gaillard, avec des biceps énormes et une corpulence considérable, capable de retourner l’adversaire comme une crêpe, n’avait plus rien à se mettre sous la dent. Mais de quoi va vivre une personne qui ne veut jamais travailler ? Un soir, ne pouvant s’endormir le ventre vide, il sortit se promener.  Soudain, il aperçut le poulailler de Jacob, l’ami de son père, une idée lui traversa l’esprit, et poussé par la faim, il pénétra, prit un œuf, sortit sur la pointe des pieds et rentra à la maison. Dès qu’il termina de manger, il se sentit mal à l’aise et pensa : « Mon Dieu, qu’est-ce que j’ai fait ? J’ai mis la main sur ce qui n’est pas à moi ! Je peux tout faire, ne pas travailler, ne pas aider les autres, ne pas ranger la maison, sauf voler ! Non, je ne recommencerai plus ! »

Le lendemain, il sortit faire un tour dans la campagne, éclairée par une lune toute ronde. Il passa une seconde fois près du poulailler de Jacob, s’arrêta court, regarda un moment, hésita, fit quelques pas, puis avança en murmurant : « Ce ne sont que des œufs, demain ses poules  pondront ». Quatre soirs de suite, il alla se servir chez le voisin, mais à la cinquième nuit, il constata que l’ami de son père était passé avant lui, et avait ramassé ses œufs. Il fut déçu et s’apprêta à retourner chez lui, mais ayant le ventre vide, il se résigna et pensa : « Tiens, une poule m’évitera de revenir demain.  Je suis certain qu’il ignore combien il en a, et ne saura jamais  que le nombre de ces bêtes diminue”. Malheureusement, il n’avait plus cette conscience qui lui martelait la tête : « C’est du vol ce que tu fais, arrête ! »

Des jours plus tard, se rendant compte que quelque chose d’inhabituelle se passait, Jacob enferma sa volaille. Quand “poil dans la main” alla se ravitailler, il n’y eut plus rien à sa portée ! Il rebroussa chemin. En passant près de la ferme où il avait travaillé autrefois, il vit un bœuf dont il s’occupait,  et déclara : « Je vais vendre ce bœuf, il me rapportera beaucoup d’argent, qui me suffira pour un long moment. » Il pénétra dans la ferme, tira le bœuf à l’aide d’une corde, mais dès qu’il atteignit la porte, trois gros chiens de garde sautèrent sur lui, déchirèrent ses vêtements, le mordirent. Il cria, personne ne vint à son secours, quand il réussit à s’extirper des gueules des bêtes, le bœuf recula un peu et fonça droit, lui donna un horrible coup de cornes aux fesses, si fort qu’il vit des étoiles de toutes les couleurs, et fut projeté de l’autre côté de la ferme. Il se leva et rentra chez lui, souffrant de douleur.

Edward ou « Poil dans la main » comme le surnommaient tous les villageois, eut honte de ce qu’il avait fait, le coup de cornes du bœuf l’avait sûrement poussé à réfléchir. Il avait enfin compris que le travail est une dignité et non une perte de temps ou un emprisonnement, que prendre quelque chose qui n’est pas à soi est du vol, même si elle est d’une infime valeur.

L’automne dernier, je roulais vers le sud, quand j’aperçus Edward dans les champs, en train de retourner la terre avec entrain. Je fus très contente qu’à la fin de mon conte, il n’était plus ce paresseux qui ne voulait jamais rien faire, et se contentait de prendre ce qui n’était pas à lui, sans coup férir. Je levai la main, lui fis signe, avec un large sourire, mais il ne me voyait pas, car Edward, que je ne veux quitter, n’est que dans les lignes que je viens de vous écrire… J’espère pouvoir te retrouver dans un autre conte, mon cher Edward… Au revoir…

 

  • Auteur : Rmili Fatiha
  • Date de parution : 31/07/2017
  • Thème : Le travail/ L’effort.
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